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JEAN-PIERRE MOCKY
«LATÉLÉVISION, C’EST DU BROMURE»

(LE MONDE / DIMANCHE 5 / LUNDI 6 JUILLET 2009)



PARCOURS
Auteur de quelque cinquante films,Jean-Pierre Mocky est l’un des cinéastes français les plus prolifiques et les plus populaires. Il a débuté comme acteur à l’âge de 9ans – figurant en 1942 dans Les Visiteurs du soir de Marcel Carné –, puis est devenu scénariste, dialoguiste, monteur et patron de salles de cinéma.
Depuis cinquante ans, il n’a de cesse de dénoncer de manière grinçante ou virulente, et souvent drôle, les travers et les hypocrisies de notre société. Il est champion de la réalisation rapide et à petit budget, réputé pour ses coups de gueule. A 76 ans, Jean-Pierre Mocky réalise son premier long-métrage pour la télévision : le tournage de Colère, pour France 2, doit débuter le 24 juillet en Franche-Comté. Admirateur du cinéaste Alfred Hitchcock, il a aussi repris la suite du «maître du suspense» dans une série de courts films, «Myster Mocky présente», programmée chaque samedi à 20H10 sur 13 ème Rue.

La chaîne 13ème Rue diffuse «Myster Mocky présente», une série d’après Alfred Hitchcock. Comment vous êtes-vous retrouvé dans ce projet?
J’ai rencontré Hitchcock en 1962. C’était un type très marrant. Il faisait du familial. Ce qui lui manquait, c’était de faire des choses plus percutantes. Faute d’argent, il a décidé de créer une série de films de 26 minutes en trois jours avec, à chaque fois, une vedette.
Patricia Hitchcock m’a proposé de reprendre la série de son père. Ce sont les producteurs d’Hitchcock, Universal maison mère de 13ème Rue, qui l’ont financée.

Vous êtes très populaire à la télévision, mais vous n’y avez pourtant jamais réalisé de longs-métrages. Pourquoi?
Mon problème avec la télé a commencé avec l’armée. A l’ORTF, le comité de lecture était dirigé par un général, genre Massu. Il n’y avait alors qu’une seule chaîne dont les choix étaient déterminés par ce général.
C’était de la censure. Quand on lui proposait un sujet où devait figurer un Arabe, il disait : «Le sujet est pas mal,mais il faut prendre quelqu’un d’autre qu’un Arabe.» Avant, il y a eu la censure catholique, puis les grands patrons de la télévision ont aussi exercé une forme de censure. Sans parler des comités prétendument familiaux qui collaient leurs mises en garde, comme sur le tabac aujourd’hui.

La télé ne peut donc trouver grâce à vos yeux?
La télé est un endroit merveilleux pour toucher le plus de gens. Mais quand ils rentrent chez eux, on leur livre des trucs soporifiques : la télévision, c’est du bromure. Les meilleures émissions sont celles sur les animaux, sur l’environnement. Les documentaires nous informent sur le monde, sans jamais prendre position sur un sujet particulier : la «Sécu», le blanchiment de l’argent, la corruption, les pédophiles chez les curés et les partouzes dans les ministères, etc. Tout ça, faut pas toucher. Ni toucher à la séquestration des patrons ; les gens risqueraient de réfléchir. Cela pourrait réveiller l’esprit de la révolution. Aujourd’hui en France, le citoyen n’a pas la possibilité d’avoir des dossiers chauds sous forme de fictions.

Il y a tout de même des exceptions…
Il y a eu un Bérégovoy qui n’était pas mal, mais c’est une rareté. Même mon ami Boisset a voulu faire un film sur l’affaire Alègre ou sur l’affaire Emile Louis. Il a été scié. La télé est entre les mains du pouvoir, quel qu’il soit. Avant, les films étaient carrément interdits. La plupart des miens ont été interdits aux moins de 18 ans. Je faisais des films pour les enfants, et ils leur étaient interdits. Il y a eu aussi Ville à vendre [1992], qui parlait des cobayes humains: des chômeurs sur lesquels on testait des médicaments. Le film est passé à minuit un lundi de la Pentecôte sur TF1. J’ai appris que parmi les actionnaires de la chaîne, il y avait des laboratoires qui faisaient ça. Au cinéma, on ne vous empêchera pas de faire un film sur les colonels grecs ou sur le meurtre de Yann Piat, mais le film aura une diffusion telle qu’une minorité de spectateurs les verra. Ce que l’on essaye de dénoncer, c’est du pipi de chat. Ça c’est très dur! C’est pour ça que je suis heureux que France 2 ait accepté de faire mon sujet. Ça montre une espèce d’évolution. Si je fais ce film à la télé aujourd’hui, c’est parce qu’on me laisse enfin la liberté de le faire.

Pouvez-vous nous parler de ce film?
Le film s’appelle Colère. La colère de ceux qui ont été victimes de drames d’ampleur et qui attendent toujours leur pognon. Je ne voulais pas m’embarquer dans cette affaire à la légère. J’ai étudié beaucoup de dossiers. Le personnage principal est un prêtre qui vit avec une femme. C’est lui qui va mener l’enquête. De grands acteurs m’ont rejoint : Frédéric Diefenthal, Vincent Elbaz, Victoria Abril, Claude Brasseur, Claude Rich, Daniel Russo, Rufus, Pierre Mondy…

Comment vous êtes-vous retrouvé sur France 2?
Un garçon qui s’appelle Jean Bigot [alors directeur de la fiction de France 2] et qui aime beaucoup mes films a dit à Patrice Duhamel [directeur des antennes de France Télévisions] : «Il faut faire un Mocky.» On lui a répondu: «Mocky va vous donner un sujet qui n’est pas télé. Il va faire un film que la télévision normalement ne doit pas faire.»(rires).
Finalement, ils ont eu le courage de me confier cette réalisation. J’ai été ému, plus que flatté. Je n’aurais jamais eu les moyens de faire ce film au cinéma.

Propos recueillis par Jean-Jacques Larrochelle