Entretien par Gilles Dagneau
DEUXIEME PARTIE
Dans notre dernier numéro (février, 279), Jean'Pierre Mocky a raconté ses débuts d'acteur et de réalisateur, et répondu à des questions sur la femme, l'argent, le snobisme.
Dans cette seconde Partie de l'entretien accordé à Gilles Dagneau, il parle longuement de ses films et de son retour à l'interprétation.
Cette oeuvre dramatique et grinçante, nous vous en proposons ensuite une analyse.
En 1967, vous avez travaillé en Angleterre ?
Oui, sur un film qui s'appelle les carrossiers de la mort et qui ne s'est jamais fait. Un truc sur des voleurs de voitures que je pense reprendre, d'ailleurs. C'est un film d'aventures qui nécessite un budget de 4 millions de dollars. Mais, avec ce budget, je ferai quelque chose de très riche.
Les projets non aboutis laissent en général de grands vides dans les filmographies des metteurs en scènes/auteurs. Or, vous, en dépit des fluctuations, vous tournez quand même votre film chaque année. Vous donnez l'impression de tout réussir.
C'est parce que je fais des films comme le roi des bricoleurs, que je n'aurais jamais fait si j'avais tourné les Carrossiers de la mort. J'ai meublé mon temps en faisant des choses qui nous amusaient, moi et mes amis.
Chut est un film sur les petits épargnants qui m'a beaucoup amusé. Et j'ai remonté ces deux films que j'avais dû faire assez vite en deux versions Mocky s'moque n°1 et Mocky s'moque n°2 qui, d'ailleurs, ne recueillent pas plus de suffrages que les versions premières. Ce sont des films qui font partie de mon déchet, que je réalise lorsque je ne peux en faire d'autres.
Vous préférez cela à rien du tout ?
Oui. Ce ne sont pas des films que je déteste. Ce sont des essais. Comme un pianiste qui joue du Mozart et puis, à un moment donné, qui improvise et fait des gammes...
J'appelle cela faire des gammes, ça arrive à tout le monde. Par exemple, les gammes de Monsieur Bergman, c'est la Flûte enchantée, qui n'est pas son chef-d'oeuvre. (ce n'est pas la Nuit des forains ou le Septième sceau). Fellini, il fait les Clowns et, à côté de cela, des trucs gigantesques.
Un sujet grave demande des années de réflexion. Tous les sujets que j'ai traités, que ce soit celui de la Tête contre les murs, Solo, la Grande lessive... je les ai pensés pendant des années.
Chut, c'est un truc instantané. C'est une idée qui vient comme ça. Un dessinateur de Charlie Hebdo peut se permettre de faire un dessin de Dalida avec une bite entre les jambes ; cela ne lui coûte rien.
C'est une fantaisie. Nous, pour faire quelque chose de semblable, il faut au moins 100 briques.
Dans notre métier, il faut avoir des périodes de détente. Si vous n'avez pas, de temps en temps, des films qui vous amusent, ça devient chiant. Faire chaque année son thriller, son film d'amour ou sa reconstitution historique...
Au moins, que le fait que je n'ai pas de standing à tenir ne me prive pas de la joie de faire des conneries. Je suis assez primesautier et potache. Je n'ai rien à défendre. Je ne dois pas m'aligner comme Spielberg. Maintenant qu'il a fait l'Arche perdue, il est condamné à faire plus fort encore.
Il y a, malgré tout, une continuité entre le Roi des bricoteurs et vos autres films : l'aspect artisanal, les personnages qui bricolent ou qui ont un métier peu courant Comme Marie-José Nat qui fabrique des bijoux dans Litan.
C'est encore mon côté slave. J'estime gue les gens qui bêchent la terre ou s'occupent de leurs mains sont quand même moins cons que ceux qui ne foutent rien. Je les trouve plus humains.
Tous les petits détails qui jalonnent vos films sont-ils observés de la réalité ou sont-ils pures inventions ?
Non, on ne les invente pas. On les relie parfois dans l'invention. On relie deux faits réels par un troisième qui est inventé pour donner l'unité. Mais les choses qui sont dans les films sont des choses qu'on a découvertes dans la vie.
Vous avez réellement vu une couveuse dans un salon de coiffure ?
La couveuse, dans cette séquence de la Grande lessive, c'est une idée au deuxième degré. C'est l'idée de la femme qui est capable de rester quatre ou cinq heures sur une chaise, pour être belle pendant une demi-heure. Et, quelquefois, plus laide...
Les coiffeurs eux-mêmes rigolent. C'est le côté misogyne qui ressort. Elles se font friser et, le lendemain, elles se font baiser. C'est complètement idiot. Alors, j'ai mis ces oeufs à couver. Le coiffeur en tire profit. C'est un bricoleur encore.
La Grande lessive, a été retiré abusivement de l'affiche ?
Oui, Gaumont n'a pas aimé le sujet et a prétendu que le film n'allait pas marcher. Alors, on a fait une espèce d'entourloupette d'exploitation que j'ai repérée, ce qui m'a valu dix ans de mésentente avec Gaumont, et, plus particulièrement, avec un monsieur qui me déteste cordialement et m'a traité de voyou. ll continue, d'ailleurs, parce qu'il n'a pas digéré cette histoire.
J'étais dans mon droit le plus total. Mais, c'est ainsi : les artistes comme moi sont broyés par les monopoles.
Je ne demande pas la gloire incontestée des chiffres du box-office. Annoncer, comme Monsieur Belmondo : " Un million d'entrées en huit semaines : tous les records battus." Je me fous des records. Ce qui m'intéresserait, c'est que mes films restent un an dans une salle.
C'est la raison pour laquelle j'envisage d'acheter un cinéma et d'y projeter mes films. Si j'avais la possibilité financière d'acheter une salle et, en même temps, celle de réaliser mes films, j'arrêterais purement et simplement tout contact avec I'extérieur. Je m'enfermerais dans une tour d'ivoire et produirais des films uniquement destinés à cette salle.
Qu'est-ce que le changement de regime peut apporter à un metteur en scène comme vous ?
Ce que je reproche au gouvernement actuel, et précédent, c'est le gaspillage. Quand on pense que la SFP a donné deux miiliards pour faire Enigma ! Je ne sais même pas ce que c'est. Mais quel que soit l'intérêt de ce film, la SFP n'avait pas à donner deux milliards à un film américain pendant que des gens comme moi n'ont pas cent briques pour faire un film ; c'est complètement dément.
Je suis contre le gaspillage. ll y a une chose que je n'ai jamais dite et que je ne pouvais dire parce que J'avais moins de cinquante ans et que ça pouvait me nuire.
Jusqu'en 1968, je n'ai jamais dépassé un budget de 300 millions. L'ibis rouge, tourné en 1975, en couleurs, a coûté le même prix que la Tête contre les murs, réalisé en 1958, en noir et blanc : soit 750 000 F.
Entre.ces deux dates, je n'ai jamais dépassé ce chiffre, sauf pour la Grande lessive qui a coûté dans les 200 millions, et le film avec Fernandel, produit par la Columbia, qui a coûtié 280 millions.
ll aura fallu que j'attende 1978 (le témoin), pour avoir un budget équivalent à un petit fitm de Georges Lautner. Litan est un film de 500 millions parce que 300 millions, en 1968, ça fait 500 aujourd'hui.
Alors que les budgets de Tavernier, Téchiné, Corneau ou de Challonge sont de deux milliards, je crois que l'ensemble de mes films n'avoisine pas deux milliards : Solo a couté 450 000 F, l'Albatros : 800 000 F, les vierges : 900 000 F, le Paroissien : 1 500 000 F, le Roi des bricoteurs et Chut : 6 ou 700 000 F...
Je vous cite des chiffres de mémoire..., pour des rendements qui sont quelquefois faramineux. Pour Solo, qui a été d'un rendement intéressant, j'ai versé des participations à beaucoup de gens.
Alors comment voulez-vous que moi, avec 450 000 F, je puisse faire ce qu'un autre metteur en scène fait avec 1 milliard 500 miilions ? Je ne peux pas, même si j'ai du talent, même si j'en ai davantage que lui.
Quelles seraient pour vous les conditions idéales de travail ?
Si j'étais sûr que dans les dix prochaines années, on me donne chaque année 100 millions pour faire un film, je pourrais préparer les suivants et je serais sécurisé.
Moi, je demanderais un statut de fonctionnaire. C'est pour ça que j'envie quelquefois mes camarades de l'Est, avec cette réserve qu'ils sont parfois contraints de ne pas faire certaines choses. C'est cela leur grand problème.
Sinon, l'idée de l'usine à création serait bonne. A condition, bien sûr, de ne pas être limité par la censure. Avec un budget de 1 milliard 500 millions, je ferais un film de 4 milliards 500 millions, et ainsi de suite...
Ma situation est sans issue. J'ai beau avoir dépassé les cinquante ans, je me sens comme un pionnier. Je suis dans l'Ouest, en train de défricher une plantation, tout seul parmi les lndiens.
A partir de Solo, on a commencé à vous prendre au sérieux ?
Oui, mais on ne me prend au sérieux que dans les encyclopédies. On me prend tellement au sérieux qu'on ne projette pas Solo à la télévision, qui en a pourtant les droits. L'Albatros n'a jamais été acheté par la TV parce que ce film dénonce les magouilles politiques. ll ne passera jamais sous aucun régime, ni celui-là, ni les suivants. Un journaliste de Libération l'avait prédit. ll ne s'est pas trompé.
Qu'est-ce qui a fait qu'à un moment donné, vous avez voulu vous mettre en scène ? Ce n'est pas seulement pour des raisons économiques ?
Non, des gens comme Belmondo, Delon ou Trintignant n'auraient pas voulu jouer ce genre de personnages. Et il n'était pas sûr que Bruno Cremer ou Jacques Perrin acceptent.
Donc j'avais le choix entre prendre un inconnu, avec ce que cela représente de faire tourner un acteur débutant en l'espace de trois semaines, ou de jouer moi-même. Je savais que je pouvais le jouer malgré le handicap de me diriger soi-même. Donc ce n'est pas tellement par économie.
Est-ce que cela vous tenait à coeur de jouer à nouveau ?
Non, parce que, pendant dix ans, pendant les plus belles années de ma vie, celle où j'étais le plus beau au point de vue cinématographique, donc le plus utilisable, je n'ai pas joué.
Les gens qui me traitent de narcissique ont tort, parce qu'un narcissique ne se serait pas privé de tourner pendant les années où il est le plus comestible pour les femmes...
J'ai interrompu volontairement ma carrière d'acteur parce gue je préférais être metteur en scène et auteur. Je trouvais cela ptus interessant, plus intelligent. D'ailleurs, tous les acteurs vous diront qu'ils veulent être metteur en scène. Parce que c'est idiot d'être acteur...
Que signifie la fin ouverte de Solo ?. Elle rappelle l'intertitre qui apparaît à la fin de la Grande lessive : " Et ce n'est pas fini..."
C'est ça : ce n'est pas fini parce que grâce au sacrifice du frère, les deux autres vont pouvoir continuer à poser des bombes. C'est devenu ce que ça devait devenir : les Brigades rouges, les enlèvements, les pirates de l'air, tous ces groupuscules... Solo montre le début de cette lutte clandestine contre les puissances, l'argent...
Et le piège à cons, dix ans après, c'est un bilan ?
Dix ans après, ce sont les magouilles qui recommencent et c'est une femme, cette fois, qui, sous l'influence de ce professeur, fait son mai 68 qui aboutit à mai 81.
Ce sont les préludes aux diamants de Bokasssa, les salades de l'affaire de Broglie...
Le Piège à cons se situe au moment où les jeunes ont pris conscience qu'il fallait un changement. A tort ou à raison. Le film était juste dans la mesure où il y avait des jeunes qui s'intéressaient plus à la musique ou à demander cent balles dans la rue qu'à poser des bombes. Cette vie un peu lymphatique devait changer.
Je les ai montrés dans cette période qui s'est transformée en crise pour aboutir à mai 81, qui n'a pas été une révolution à coup de pavés mais une révolution politique : le changement de gouvernement.
Que ce soit dans Solo ou le piège à cons, un homme revient de l'étranger, après une longue absence.
Mais en 1968, il constate que beaucoup de choses ont changé et en 1970, que rien n'a changé. Par contre, les deux films se rejoignent dans leur conclusion tounée vers l'espoir.
Oui, la fin, c'est la mort du héros, du type qui se mêle de ce qui ne le regarde pas. Comme le passant qui se fait abattre au cours d'un hold-up... Mes personnages sont des lâches. Mais, malheureusement, ils sont parfois obligés d'agir. En fait, ce sont plutôt des anti-héros qui sont obligés de faire des trucs pour aider les gens, alors qu'ils n'en ont pas envie.
Après avoir réalisé de nombreuses comédies, pourquoi vous êtes-vous orienté vers le drame ?
J'ai toujours été frappé par la diversité d'un auteur comme Anouilh au théâtre. Il faisait des pièces roses comme Le bal des voleurs dans laquelle j'ai joué, et des pièces noires qui l'ont rendu célèbre : Eurydice, L'Hermine...
C'était un satiriste aussi. ll a travaillé sur les Vierges. Il aimait beaucoup mes films, en particulier Solo. Il s'était identifié au personnage du jeune bourgeois à petites lunettes qui lui rappelait sa jeunesse. A cette occasion, il avait écrit un article en première page du Figaro.
Ce parallèle pour dire que, moi aussi, j'ai ma période rose et ma période noire. La dérision peut être tragique ou comique. On rejoint le roman picaresque, Cervantès, Lorca ou Shakespeare, qui, finalement sont nos maîtres.
La différence entre l'Etalon et l'Albatros n'est qu'apparente. Il y en a un qui est tiré en rose et |'autre en noir. Mais on aurait pu inverser. Des Compagnons de la Marguerite, on aurait pu faire un drame.
Tous les sujets que je traite étant graves, je me suis orienté tantôt vers la tragédie, tantôt vers la comédie.
Qu'est-ce qui fait que vous vous orientez plutôt vers l'un ou plutôt vers l'autre ?
Tout dépend de l'acteur. Si on choisit Bourvil ou Claude Rich pour une satire politique ou sociale, on fait une comédie parce qu'ils sont légers et que le public les reçoit dans le sens comique. Par contre, lorsque je suis l'interprète du film, etant plus tragique, on change de registre.
C'est Léo Ferré qui a composé la musique de l'Albatros. Vous aviez des affinités personnelles avec lui ?
Oui, mais on s'est disputé à la fin. Car j'ai toujours mis mon grain de sel dans l'orchestration. Cela a porté bonheur au musicien du Linceul, puisque c'est moi qui lui avait imposé la trompette et la flûte de pan. Le disque de la musique du film a été un triomphe puisqu'on en a tiré trois millions en France. Uniquement à cause de l'orchestration. Le compositeur voulait un orchestre de fox-trot qui aurait banalisé le thème.
Pour l'Albatros, je voulais une choriste, comme dans Solo, qui représente la jeune fille idéale que l'on voit dans le film et qui hante Stef. Un jour, Léo Ferré est venu et a chanté le thème, au pied levé, devant un micro.
Quand le film a été terminé, je lui ai dit : "C'est formidable ce que tu as fait, il faudrait l'améliorer." Il a répondu : "Pas du tout ; je vais prendre cent cinquante musiciens, faire une ouverture et une symphonie qui s'appellera "l'Albatros". J'ai refusé et il est passé outre mon désaccord.
Il est allé trouver le producteur et, ensemble, ils ont enregistré la symphonie que je n'ai pu placer dans le film. Alors, j'ai dû prendre l'essai du premier jour. Léo Ferré ne l'a pas accepté et on s'est fâché. Pareil avec Nino Ferrer pour Litan : il voulait mettre des batteries...
Chaque fois que j'ai pris un chanteur à la mode ou de music-hall, Moustaki ou Aznavour... il y a eu des problèmes au niveau de l'orchestration.
La musique que l'on entend dans Litan, c'est un peu celle que l'on entend dans les émissions de Pierre-Marcel Onder (1). J'ai cru qu'il avait été conseiller musical.
Non, il l'a été pour le piège à cons. J'adore ce type-là. Mon rêve serait de lui permettre d'avoir à nouveau une émission à la télévision sur la musique de genre qui est une des plus belles musiques qui existe.
Etant Slave, je n'aime que la musique qui donne une joie de vivre. Dans l'Ombre d'une chance, j'ai utitisé un contemporain de Strauss qui s'appelait Carl Zeiler et j'ai souvent utilisé des extraits de musique viennoises. Dans le piège à cons, il y a un motif à la cithare.
Je suis très sensible à toutes ces musiques-là. Aimer la musique de Pierre-Marcel Onder, me paraît très sain. La musique, c'est la santé, un peu comme la gymnastique. Tous les matins, il y avait à 7 h 30, l'émission de Onder et, en même temps, sur une autre fréquence, un type qui faisait faire des exercices de gym. ll y en avait qui faisaient ces exercices et d'autres qui écoutaient la musique.
Ça donnait le même résultat. C'était décontractant.
L'Ombre d'une chance illustre ce que vous disiez tout à l'heure. Jusque là on riait dans vos films qui traitaient de la sexualité et soudain vous tournez un drame.
C'est le problème du père qui reste enfant et de l'enfant qui devient adulte avant le père.
Les Dragueurs, Un couple, les Vierges, les Compagnons de la Marguerite et l'Ombre d'une chance, sont cinq films qui illustrent ma vie sentimentale. Parallèlement aux créations artistiques que j'ai pu faire, ils racontent des faits qui m'ont touché personnellement.
L'Ombre d'une chance, c'est l'histoire de mon fils. Quand j'ai eu quarante ans, il en avait vingt-six. Dans le film, mon fils, qui a la barbe, semble avoir trente ans, et moi, j'en paraîts trente-deux ou trente-trois. Le père et le fils ont l'air d'avoir le même âge et ils sont avec deux filles blondes du même âge : ça forme un quatuor comme deux frères et deux soeurs.
C'est dans ce contexte que j'ai créé ce drame que je n'ai pas vécu jusqu'au bout.
La seule part que le père prend à l'éducation de son fils, le seul amour qu'il éprouve pour lui, c'est de lui éviter d'aller en cabane en faisant passer pour un suicide le fait que son fils ait tiré sur lui.
C'est assez rare qu'un metteur en scène s'intéresse autant que vous aux jeunes autrement que pour les faire jouer dans des films comme la Boum.
J'ai aidé de nombreux jeunes. Je crois être le seul réalisateur à avoir six ieunes stagiaires par film. J'en ai fait vinqt-trois, donc j'ai été en contact et donné une chance à cent vingt jeunes : Zidi, Rouffio, Girod pour ne citer que les plus connus.
Je trouvais normal de leur ouvrir les portes de ma société parce que moi, on m'avait aidé.
Je m'intéresse à la jeunesse parce que moi-même, j'ai gardé une âme d'enfant. D'ailleurs, je ne vieillis pas trop, intellectuellement du moins, parce que je m'amuse dans ce que je fais.
Je préfère être avec des jeunes que des vieux, surtout pendant les périodes de préparation. Pendant les tournages, je préfère les vieux parce que je m'appuie sur eux pour les tâches plus importantes.
Et bien sûr, je me suis intéressé aux problèmes des jeunes dans presque tous mes films.
En 1975, deux de vos films sortent à trois mois d'intervalle : Un linceul n'a pas de poches et l'ibis rouge.
Deux films de série noire tirés des romans de Horace Mac Coy et Frédéric Brown.
Un linceul était un film qui était automatiquement voué à l'échec parce que j'attaquais les quatre partis politiques donc, je ne pouvais être soutenu par personne.
Dans le bouquin de Mac Coy, c'étaient les Républicains et les Démocrates qui étaient des salauds. ll a fallu transposer en France et mettre en cause les quatre grands Partis.
En plus, on pouvait me reprocher d'appartenir à des journaux comme " Minute" ou autres journaux à scandales puisque je dénonçais des scandales. En France, ces journaux-là sont très mal notés. lls ont très mauvaise presse pour les raisons que nous connaissons.
Par contre, le Washington-Post n'a pas la même réputation aux Etats-Unis. Les gens qui ont sorti les Hommes du Président n'ont pas la cote de Minute.
On m'a assimilé à un type d'extrême droite, réactionnaire et en même temps quelqu'un qui tape sur tout le monde. On me le reproche aujourd'hui encore. En réatité, j'ai fait ce film, parce que je n'avais pu faire On achève bien les chevaux du même Mac Coy.
Quant à Brown, c'est un auteur que j'aime beaucoup. J'ai d'ailleurs l'intention de faire d'autres films basés sur ses oeuvres. Lui, c'est un farfelu...
Michel Simon faisait parfie des acteurs avec lesquels vous souhaitiez toumer ?
Oui, comme de nombreuses personnalités que j'invite aux projections de mes films, il avait vu Snobs et l'avait beaucoup aimé. Depuis ce temps, il me vouait une grande amitié, mais je n'avais jamais eu l'occasion de le faire tourner. Et puis il a été malade pendant une longue période. Finalement l'ibis rouge a été son dernier film.
Nous avions le même genre de relations qu'avec Bourvil. Celles que je n'ai pas eues avec Fernandel qui était beaucoup plus froid.
Après l'ibis rouge, j'ai l'impression que vous avez traversé une période difficile.
Je suis resté sans travailler parce que ces deux films n'avaient pas eu de succès. J'ai écrit des scénarios pendant ce temps-là, qui ne se sont pas encore réalisés mais qui vont se faire.
J'ai récrit les Carrossiers de la mort. J'ai repris deux autres films, dont le Miraculé, que je vais tourner bientôt avec Michel Serrault, Jacques Dutronc et Luis Rego.
Ensuite, j'ai tourné le Roi des bricoleurs. De Funès devait l'interpréter. C'était le gendarme bricoleur. De Funès s'était retiré de la gendarmerie de St-Tropez et devenait concierge et bricoleur.
Mais il y avait trop de mouvements et il ne pouvait pas bouger. Sur les conseils d'un autre réalisateur, j'ai ensagé Sim et j'ai divisé le rôle principal en deux : celui de Sim et celui de Pierre Bolo. Ça a déséquilibré le film de tous les gags que devait amener De Funès n'existant pas, le film est resté ce qu'il est, c'est à dire une satire du bricolage.
Et vous pensez que Sim s'intègre bien à vos autres personnages ?
Non, Sim est un personnage trop boy-scout pour moi. Je l'aime beaucoup mais il est trop sincère, trop simple : il n'a pas de deuxième degré. ll n'a pas compris ce que je voulais faire et en plus, il n'a pas le même impact comique que De Funès. Le film a'été raté pour toutes ces raisons.
On a voulu remplacer un nerveux méchant par un bon gentil. Ca a foutu le film par terre. Le roi des bricoleurs aurait été très savoureux dans la mesure où le personnage aurait été très méchant, aussi méchant que Serrault, le personnage du constructeur qui, lui, reste valable. D'ailleurs Serrault considère que c'est un de ses meilleurs rôles : il l'a dit à Jeudi-cinéma.
Dans le nouveau montage, vous lui avez donné plus d'importance ?.
Non, j'ai diminué l'importance de Sim et, comme le film a diminué de vingt minutes, le rôle de Serrault paraît renforcé.
Nous arrivons au Témoin, avec Philippe Noiret, que vous deviez déjà utiliser dans l'Etalon.
Oui, il devait être le partenaire de Bourvil à la place de Francis Blanche et puis, au dernier moment, il a refusé et il a fait les Caprices de Marianne. On s'est fâché à ce moment-là. Je lui en ai voulu d'abandonner le film alors que Bourvil était malade. Et puis ensuite on s'est réconcilié pour le Témoin.
Contrairement au Roi des bricoleurs qui était un peu bâclé, le Témoin a visiblement bénélicié de moyens importants.
C'est un film qui a bénéficié de la coproduction italienne. Le film s'est pratiquement tourné en Italie et comme Sordi est une star, on a eu beaucouo de moyens, Là, j'ai dépassé mes budgets habituels.
Le Témoin a été la première recette des films étrangers en 1979. Près de 400 000 entrées en exclusivité. Ex-aequo avec Une histoire simple. Pour une fois, j'ai battu Belmondo et De Funès.
Comment avez-vous été amené à faire cetre co-production ?
Alberto Sordi a désiré tourner avec moi. Fellini lui a parlé de moi et comme il voulait faire un film en France, il m'a choisi.
C'est terrifiant la fin du film ?
Dans la version italienne, il y a une seconde fin. Comme la peine de mort n'existait pas en Italie, on m'avait demandé de rajouter une pirouette finale.
Après l'exécution, il y a la scène où la lance d'eau enlève le sang de la tête qui est tombée dans le panier. Puis on voit Sordi dans le couloir par lequel il a été conduit pour se taire exécuter, sans tête, simplement avec son chapeau. ll dit "Allez, bonjour, à bientôt" monte dans sa voiture et s'en va.
En France, le film étant destiné à abolir la peine de mort, on ne pouvait terminer sur une pirouette.
Vous pensez que votre film a eu une action positive ?
Non je n'ai pas participé à l'abolition de la peine de mort. En France, on tuait trois personnes par an : c'était arbitraire, c'était un crime et cela au nom d'une institution qui etait périmée.
Mon film ayant fait à peine 200 000 entrées à paris, il n'a pas eu une grande influence. Il a simplement permis que l'on en reparle un peu.
Estimez-vous avoir participé, pendant toutes ces années, à l'évolution des mentalités ?
Je ne crois pas. J'ai eu de l'influence sur une certaine génération de jeunes qui ont apprécié mes films et ont vécu d'une manière plus décontractée en les voyant. Mes films les confortaient dans ce qu'ils pensaient. lls les rassuraient dans la mesure où l'on est toujours rassuré quand quelqu'un pense comme vous. Mes films étant assez originaux, et comme il n'y en avait pas beuucoup de ce genre sur le marché, les gens se rapprochaient et se disaient : "Tiens, c'est un type qui nous comprend ".
Mais cela restait dans un milieu très restreint. Ce n'était pas une action de masse et je ne crois pas avoir favorisé des retombées sociologiques.
Finalement, je ne suis que le Brice Lalonde du cinéma... pour le moment. Mais je ne suis pas mort.
Propos recueillis par Giiles Dagneau,
janvier 1981.
1) P-M. Onder est programmateur et présentateur de "Pittoresques et légères" sur France-Musique.